La cuisine mexicaine, un modèle identitaire
La cuisine traditionnelle mexicaine, riche de ses saveurs, de ses couleurs et de son exceptionnelle originalité, de plus en plus appréciée de par le monde, est née au début du 16ème siècle de la rencontre de deux cultures, indigène et hispanique, tout à fait différentes mais cependant incroyablement complémentaires. En associant ainsi, au cours des siècles, les richesses culinaires de chacune de ces cultures et de bien d’autres encore, la cuisine traditionnelle est devenue l’un des symboles de l’unité culturelle du pays. Nous vous proposons de voir ensemble dans quels contextes, historique mais aussi géographique, le peuple mexicain, fier de ses origines et prêt à les sauvegarder a su, face à toutes les adversités, créer un lien exceptionnel entre passé, présent et avenir en un mot une identité.
I) Le Mexique : lieu d’un développement continuel de civilisations
Un territoire complexe à géographie variable :
Dans ce pays montagneux, coupé par le Tropique du Cancer, où divers écosystèmes se côtoient, les données concernant la latitude, le relief, l'altitude, le climat, l’hydrographie, la faune, la flore … font partie intégrante de la création d’un territoire multiple et complexe que tous les peuples qui l’occuperont devront dompter. La majeure partie du pays est un ensemble de plateaux élevés, entre 1000 et 3000 mètres d’altitude, ceinturés par les deux sierras madres, Occidentale et Orientale qui convergent au sud sur la Cordillère néovolcanique où culminent de puissants sommets volcaniques tels que le Pic d'Orizaba (5675 m) et le Popocatepetl (5426 m) Le climat, tropical dans l'ensemble du pays, aride dans le nord avec une végétation quasi désertique (steppe) devient tempéré et marécageux aux pieds des cordillères et sur le haut plateau central, puis tropical et humide dans le sud (forêt).
Cette “géographie variable”, compte tenu de l’étendue de son territoire, entre Océan pacifique et Océan Atlantique, d’une topographie variée et d'importantes différences climatiques, permet au pays d’héberger, en matière d'écosystème et de biodiversité, avec 200 000 espèces différentes, environ 10% de la biodiversité mondiale, possédant ainsi six des huit écosystèmes planétaires.
Une longue et tumultueuse histoire :
a/ La Préhistoire :
L’Homme venant d’Asie commencera à peupler le continent américain il y a plus de 60 000 ans et devra, toujours tributaire des variations climatiques et végétales des milieux occupés, se nourrir en fonction des ressources naturelles trouvées dans chacun d’eux, de la chasse, de la pêche ou de la cueillette de fruits sauvages, de racines, et autres végétaux comestibles. Entre 7500 et 5000 ans avant Jésus-Christ, il commencera à cultiver un maïs rudimentaire ainsi que des haricots (déjà consommés comme légumes ou comme grain), le chile et la citrouille (qui deviendront au fil des siècles, les éléments de base de la cuisine du peuple mexicain), la patate douce, l'agave, l’avocat et toute une série de fruits tropicaux comme le nopal, les figues de barbarie ou la goyave. De même qu’il était parvenu à domestiquer les végétaux, l'Homme aura-t-il pour se nourrir, réussi sans doute à également apprivoiser des animaux tels que certaines espèces de chiens à poil ras, des cochons d'Inde et plus tard certains ruminants. C’est dans le cadre de cette sédentarisation progressive qu’un grand nombre de cultures commenceront à se former, dont certaines plus complexes encore, constitueront de véritables civilisations, incontournables composantes du peuple mexicain.
b/ Les civilisations précolombiennes :
Ainsi que le souligne l’UNESCO dans son inscription au patrimoine immatériel de l'Humanité, la cuisine mexicaine est “un modèle culturel complet” issu d’ancestrales racines communautaires issues notamment de civilisations précolombiennes présentes, simultanément ou successivement, depuis des millénaires, sur le sol mexicain. Ont parmi celles-ci laissé une empreinte indélébile :
- les Olmèques (du 13ème siècle au 6ème siècle avant Jésus-Christ ) d'abord situés sur les états actuels de Puebla et de Veracruz, puis ceux de Mexico, d’Oaxaca et de Chiapas;
- les Chichimèques (du 11ème siècle avant Jésus-Christ au 16ème siècle après Jésus-Christ) sur les hauts plateaux du centre nord;
- les Mayas “cadeau sacré des dieux”(du 11ème siècle avant Jésus-Christ au 16ème siècle après Jésus-Christ) sur la Péninsule du Yucatan, dans les régions de Chiapas et de Tabasco;
- les Zapotèques “population des nuages” (du 6ème siècle avant Jésus-Christ à l’année 1521), dans la région fertile d’Oaxaca et la Sierra Madre del Sur;
- les Mixtèques “population de la pluie” (de 750 à 1350 après Jésus-Christ) dans les régions d’Oaxaca et de Puebla;
- les Toltèques (du 10ème au 12ème siècle après Jésus-Christ) dont la langue le Nahuati, est aujourd’hui la langue indigène la plus utilisée au Mexique, dans la région de Mexico,
- les Tarasques (Purépechas) (du début du 14ème siècle à 1530 après Jésus-Christ) entre le Pacifique et le plateau central sur l’état actuel de Michoacàn,
- les Aztèques (ou Mexicas) “Fils du Soleil” (du 12ème siècle après Jésus-Christ à l’année 1521, date de la prise par les conquistadors espagnols de leur capitaleTenochtitlan) au départ dans le centre du pays (autour du lac salé marécageux de Texcoco) puis jusqu’à l’Océan Pacifique.
Bien que géographiquement et linguistiquement diverses, avec des traditions mythologiques, des rites et des organisations religieuses différents, toutes ces civilisations sauront partout s’adapter à leur milieu naturel, terres arides ou fertiles, climat sec, tempéré ou humide et tropical, grande variabilité des altitudes. Elles feront de la Mésoamérique une véritable aire culturelle rassemblant, issus de cultures anciennes, croyances religieuses, art, architecture et technologie, et sauront, avec une circulation constante des biens, des personnes et des idées, survivre aux occupations étrangères successives du pays, tout en perpétuant, au travers des siècles, nombre de leurs traditions.
Ainsi, dans le domaine religieux, toutes polythéistes, elles adoreront des divinités astrales (le Soleil, Mars, Vénus, la Lune,...) ou agraires (le Sol, la Pluie,la Végétation, la Fertilité, le Maïs lui-même), le Feu ou encore le Serpent à plumes, … croiront en un voyage après la mort et à une intervention constante des dieux dans les activités humaines, leur rendront hommage selon des pratiques souvent divinatoires, ou même au travers des différents arts pratiqués, feront des offrandes à la terre, pratiqueront parfois l’automutilation et plus fréquemment le sacrifice humain notamment du sommet de centres cérémoniels et se réuniront autour de l'omniprésent jeu de balle, symbole dualiste de la vie contre la mort, du bien contre le mal. Très évoluées dans des domaines tels que l’écriture, l’algèbre, l’architecture ou l’astronomie, elles utiliseront également la cosmographie et ses 4 points cardinaux.
Dans le domaine agricole, en pratiquant des formes adaptées de travail, en système extensif ou intensif de culture, elles développeront, avec au départ des outils rudimentaires faits de bois, de corne et de pierre, des connaissances désormais reconnues en matière d’agriculture et d’agronomie toutes destinées à permettre, augmenter ou multiplier leurs récoltes : calendrier solaire pour les semailles et les récoltes, cultures en terrasse, en chinampa , assèchement des marécages, irrigation, jachère forestière itinérante sur brûlis, combinaison des cultures de l'horticulture de polyculture, milpa, surélévation des parcelles,…, preuves d’une extraordinaire intelligence et d’un savoir-faire qui influenceront profondément l’actuelle cuisine mexicaine. Elles cultiveront traditionnellement le maïs (dont la culture se généralisera au 12ème siècle), le haricot et les piments considérés comme des éléments de base pour leur alimentation mais aussi pour honorer leurs dieux ou, dans le cas du piment, se soigner, l’avocat, la tomate, la courge, la vanille, les fèves de cacao, …
Dans le domaine culinaire, la domestication de la méthode de la nixtamalisation du maïs (les Aztèques se servait alors de cendres de bois mélangées à l’eau) qui permettra, 2000 ans avant Jésus-Christ de ramollir le grain, en faisant éclater son enveloppe, afin de mieux le moudre tout en améliorant sa valeur nutritive et de confectionner, grâce à sa mise en moule, les premières tortillas et autres sortes de pain plats, restera un événement majeur dans l'histoire de la cuisine mexicaine et, dans une moindre mesure la cuisson de certains autres plats dans des fours enterrés.
c) Les apports migratoires : d’Espagne et d'ailleurs ! :
A partir de la fin du 15ème siècle et son invasion par les troupes espagnoles, le Mexique connaîtra de nombreuses influences extérieures d’origines différentes, parfois colonisatrices, qui auront des conséquences démographiques, économiques et sociales majeures en modifiant notamment pratiques alimentaires et modalités d’utilisation de la terre avec, entre autres, l'introduction de nouvelles cultures. Ainsi, entre 1492 et 1700, 500 000 Espagnols feront l’objet, contre un pécule accordé à leurs proches, d’une politique d’imigration familiale contrôlée afin d’assurer la promotion de l’ordre moral dans le Nouveau Monde. Les maîtres mots étaient alors pour les émigrés : fortune, gloire et salut des âmes païennes ! Sortis eux-mêmes de huit siècles d’influence arabe, ils apporteront, extraits des cales de leurs caravelles le riz, l’huile d'olive, l’oignon, l’ail, le coriandre, la cannelle,...et d’autres herbes et épices, mais aussi de nouveaux modes de cuisson avec notamment des graisses animales et végétales comme l’huile ou le saindoux , qui permettront de faire désormais frire les aliments, mettant en place un nouveau mode de vie et d’organisation sociale caractéristique de la vice royauté espagnole.
De la même façon, dans le cadre des échanges de marchandises et de main d'oeuvre pratiqués au sein de l’empire colonial espagnol alors omniprésent dans le monde entier, des populations asiatiques (Chinois, Philippins, Japonais,...) apporteront leurs épices et la pratique du mélange sucré /salé, des Américains d’Amérique latine, des populations des Caraïbes et du Moyen-Orient, leurs spécificités culinaires. Jusqu’au 19ème siècle, entre 12 et 15 millions d'esclaves africains déportés vers l’Amérique, entreront dans le pays avec des chaînes mais aussi différentes plantes comme les cacahuètes. Les Européens (Allemands, Anglais, Portugais, Italiens, Polonais, Suédois, Ukrainiens, Russes, Grecs,...) introduiront un grand nombre d’aliments issus de l’élevage tels que le cochon, le boeuf, la chèvre, le porc, le mouton, la dinde, le poulet, … et les produits laitiers en particulier le fromage, augmentant ainsi un apport en protéines jusque là assez limité, diverses herbes et épices (persil, thym, marjolaine, laurier, …) et certains fruits comme les agrumes. Entre 1863 et 1867, les Français, sous la gouvernance colonisatrice des troupes de l’empereur Napoléon III, apporteront des recettes de toutes sortes de pains et de pâtisseries encore aujourd’hui présents dans la vie quotidienne des Mexicains. La population du pays doublera ainsi en 50 ans et atteindra, en 1800, les 6 millions d'habitants dont 780 000 Espagnols.
d) La colonisation (1521-1821)
A partir de 1521, date de la sanglante prise de la capitale aztèque Tenochtitlan, les territoires indigènes seront progressivement intégrés à la Nouvelle-Espagne, vice-royauté espagnole dont le conquistador Hermàn Cortès sera nommé gouverneur. Des régions entières deviendront des colonies esclavagistes, avec la bénédiction de l’Eglise d’Espagne, qui christianisera massivement les indigènes, remplaçant leurs divinités par des saints et des vierges catholiques.
La hiérarchie de la colonie sera raciale et un système de castes mis en place dès le début du 17ème siècle, classant dans un ordre social établi : colons espagnols, créoles, métis, indiens et noirs africains. Sur le plan économique, ses ressources seront issues des extractions minérales et métalliques (argent, or, cuivre, fer, plomb, soufre,...) faisant du pays , de 1521 à 1954, le premier producteur d'argent au monde. Les richesses ainsi générées seront dans leur quasi-totalité exportées vers l’Espagne , la partie restant sur le territoire étant investie dans les constructions civiles (écoles, commerces, casinos, …) ou religieuses (églises, monastères, ..) et l’expansion agricole. Aux 17ème et 18ème siècles de nouvelles exploitations (haciendas) gérées par les colons développeront, dans le sud la culture du maïs, de la canne à sucre, de l’indigo, du cacao,... et dans le nord celle du blé et l’élevage de bovins.
C'est à l’époque coloniale que seront construites la plupart des grandes villes du pays et que les champs se couvriront de pavés qui deviendront des places d'armes nommées aujourd'hui “zocalos”. Avec l’extension à venir du chemin de fer dans tout le pays, la Nouvelle-Espagne, située au carrefour de multiples routes commerciales, deviendra le point de jonction entre les flux commerciaux atlantiques et pacifiques. Sur le plan démographique, le plus souvent réduite en servitude ou en esclavage, décimée par les épidémies apportées par les colons, les guerres meurtrières, les famines, les disettes, les transferts de main d’oeuvre et les mauvais traitements infligés dans les plantations, les ranches ou les mines, la population indigène, malgré de graves émeutes qui, en 1692, menaceront l’ordre colonial dans son ensemble, passera de 25 millions en 1519 à 3 millions en 1570 et à 1 million en 1605.
Confrontés dès le départ à la disparition de leur organisation sociale et à la transformation de leurs traditions, de leurs paysages et même de leur architecture urbaine ou rurale, les très nombreux descendants des civilisations précolombiennes, toujours présents sur le territoire mexicain, et bien qu’encore victimes de leur appartenance ethnoculturelle, apporteront malgré tout au fil des siècles, leur patrimoine génétique au métissage des sociétés créoles, créant un paradoxe biologique et culturel qui devra construire sa propre identité.
II) Le Mexique : de la pluralité à l’unité nationale
a/ Dans le domaine gastronomique: la richesse d’un héritage culturel
Cuisine symbolique par essence, chaque ingrédient a une signification, chaque plat une histoire. Ainsi, au cours des siècles, les populations indigènes, toujours attachées à la structure élémentaire du maïs, du haricot et du piment, et à la consommation d’ingrédients issus de leurs territoires, cueillis ou cultivés, chassés, pêchés ou élevés, transmettront de génération en génération, par la voix et par les gestes, des traditions communautaires ancestrales tel le rôle essentiel donné aux femmes, enseigné dès leur plus jeune âge, dans la préparation des repas et même de la famille toute entière pour les préparations plus complexes.
Toujours soucieuses de respecter leur environnement naturel, elles participeront à la préservation d’un héritage culturel qui deviendra un symbole d’unité, car dès le début de la colonisation, leurs pratiques, leurs habitudes et leurs techniques culinaires avaient fini par se mélanger avec l’art culinaire européen, essentiellement espagnol. La cuisine traditionnelle ainsi devenue cuisine cosmopolite sera alors un trait-d’union entre des mondes totalement différents mais qui avaient appris à se compléter. On peut également retrouver, dans la cuisine mexicaine, une variété considérable des plats des différentes communautés dans lesquels chaque région aura, reflet de la grande diversité des cultures et de la biodiversité géographique du pays, ses spécialités et ses trésors culinaires, constituant un véritable puzzle culinaire avec une texture propre, des saveurs et des parfums différents, liés aux diverses conditions locales.
Dans le nord du pays par exemple, la viande bovine prédomine accompagné de fromages fermiers, jusque dans les assiettes, les régions côtières font quant à elles la part belle aux plats à base de poisson et de fruits de mer, au Yucatan, les plats restent basés sur la nourriture traditionnelle maya issue de la culture des “3 Soeurs”, dans l’ouest du pays le blé s'invite à toutes les tables avec ses pains et ses desserts, à Mexico, la majorité des ingrédients n’étant pas cultivés in situ mais importés, la cuisine de rue y est très populaire avec partout des stands à tacos et des comptoirs déjeuner! Le maïs reste quasiment partout l’aliment de base de tous les repas, quelle que soit l’heure de la journée, auquel viennent se rajouter des légumes très variés, tels que tomates, oignons, chile, courgettes, pastèques, choux-fleurs, blettes, pommes de terre, épinards, champignons, ... des fruits tropicaux tels que ananas, banane, papaye, mangue, goyave, sapote, citrons, …et des aromates tels que origan, feuille d’avocat, coriandre, basil, romarin, menthe, estragon, … qui occuperont partout une place de choix.
Quelques exemples de plats traditionnels mexicains :
- les tortillas (du nahuatl “thaxalli”) : galettes de maïs (avec des grains traditionnellement nixtamalisés) ou de blé dans le nord du pays, aliment de base du pays, cuites traditionnellement au feu de bois, elles entrent dans la composition de très nombreux plats.
- les tacos: tortillas garnies de riz, de viande de boeuf, de porc, de poulet, de foie, de cervelles,.... Aujourd'hui, plat préféré des Mexicains, ils sont consommés à tout moment de la journée, en famille, pour les fêtes, les réunions, ou dans la rue lors de soirées, sans besoin de couverts…! Garnis de poisson ils deviennent les “pescadillas”.
- les enchiladas : tortillas recouvertes de salsa (sauce pimentée à base de tomates) ou de mole (sauce à base de piment vert ou rouge, de cacao ou de chocolat, de sésame, de cacahuète, de tomate) bourrées de viande, de poulet ou de poisson, avec du fromage. Elles peuvent aussi être sucrées avec des raisins secs
- les quesadillas : tortillas pliées garnies au choix de fromage, viande, champignons, cervelle, …frites dans l’huile ou cuites sur une plaque
- les tortas : tranches de pain garni de haricots souvent frits, avec de la crème et du piment (introduites par les Français avec d’autres variétés de pain) très appréciées dans la cuisine de rue
- les burritos: viande, haricots, oignons, épices, piment et légumes enroulés dans une tortilla de farine de blé
- les tacoyos : pâte de tortilla couverte de votre plat préféré (crème, fromage, riz, haricots, salades,…) d’origine aztèque, ils sont la spécialité de la capitale
- le mole poblano : ragoût de dinde ou de poulet accompagné d’épices et de chocolat, il est considéré comme le plat national, La légende dit qu’il aurait été inventé, avec plus de cent ingrédients, par des religieuses espagnoles qui, assistées par leurs aides indigènes, avaient voulu impressionner leur évêque. Déclaré comme patrimoine gastronomique de l'humanité par l’UNESCO, il apparaît dans toutes sortes de célébrations(baptêmes, mariages, funérailles mêmes, anniversaires)
- les tamales : gaines d’épis de maïs ou de feuilles de bananiers, datant de plus de 5000 ans, généralement cuites à la vapeur, garnies de viandes ou de poissons, de fromages mais aussi de légumes, réservées alors aux célébrations et aux festivités, elles font toujours partie intégrante de la célébration des morts
- le pozole: une des plus traditionnelles soupes mexicaines, aux grains de maïs précuits, dégustée sur tout le territoire, avec une viande et des ingrédients complémentaires (avocat, laitue,radis, fromage, piment en sauce ou en poudre) différents selon les régions.
- le guacamole : bien avant la sauce était l’avocat! appelé “or vert” par Cortès, à cause de sa représentation jugée trop “érotique” par les civilisations indigènes, les femmes avaient l’interdiction absolue de seulement les toucher! Sauce toltèque d’origine divine constituée d’avocat écrasé, additionnée d’oignons et de coriandre fraîche, d‘une pointe de piment et arrosée d’un filet de citron vert. Préparé pour toute occasion spéciale et les jours de fêtes, il est synonyme de partage et de simplicité, placé au centre de la table comme collation lors d’un apéritif ou en accompagnement pour saucer n’importe quel plat mexicain.
- le chile en nogada : plat “nationaliste” aux couleurs du pays; mélange de porc , de fruits hachés et d’épices “étouffés” dans une sauce à la crème de noix et saupoudrés de graines de grenade.
Y de tomar? Quelques boissons typiques à boire?
- la tequila : déjà utilisée dans les cérémonies religieuses aztèques, et à la base de nombreux cocktails, cette boisson alcoolisée obtenue par la fermentation de levure de distillation de jus d’agave bleu sera plus tard réinterprétée par le pouvoir politique comme un élément culturel métissé.
- le mescal : alcool parfumé très fort avec souvent dans la bouteille le gusanito (ver blanc ou rouge qui vit dans le maguey…à croquer!)
- le pulque : alcool préhispanique fermenté, alors boisson sacrée des Aztèques, à base de sève de maguey, utilisé à des fins religieuses, médicales ou comme stimulant donné aux victimes des sacrifices humains! il a été supplanté par la bière au début du 20ème siècle
- l’atole : boisson chaude à base de farine de maïs très fine parfumée avec du chocolat, des fruits, du riz ou d’autres parfums. Crémeuse et réconfortante, elle est traditionnellement servie lors des célébrations mexicaines comme le Jour des Morts, Noël ou le Jour de l’An
- la bière (cerveza) : presque une boisson nationale, brassée bien avant la conquête espagnole elle a pris son essor avec l’afflux d’immigrants allemands au 19ème siècle, très consommée (plus de 65 litres par an et par habitant) elle est devenue la “reine du monde” car une “blonde” sur 3 exportée est mexicaine!
- les licuados : fruits mixés avec du lait vendus partout dans la rue
- les sodas et autres boissons gazeuses, ils inondent le marché mexicain
- l’aqua fresca : boisson préparée à partir de fruits liquéfiés d’eau et de sucre
- le vin mexicain : il est, avec plus de 300 étiquettes, cultivé la plupart du temps en Basse Californie et en Hidalgo
b) Dans le domaine culturel :
le rôle de la cuisine traditionnelle :
Inscrite dans un territoire respectueux des écosystèmes, on peut retrouver dans la cuisine traditionnelle, au delà du rôle essentiel accordé au maïs, des techniques de culture et de préparation issues de civilisations indigènes telles que :
- la milpa : pratiquée par les Mayas et les Aztèques, elle proposait une rotation itinérante de culture sur brûlis de 3 aliments complémentaires - dénommée “les Trois soeurs” - la courge, le maïs et le haricot grimpant associés à des plantes comme l’avocat. Formidable témoin de leurs habitudes de vie, cette technique qui fait partie du patrimoine culturel immatériel indigène, redevient aujourd'hui une combinaison dans l’air du temps notamment dans la région de Guerrero car, plus écologique, elle permet une autosuffisance alimentaire n’utilisant quasiment plus d’ajouts de pesticides.
- la chinampa : pratiquée par les aztèques, elle permettait de cultiver dans des zones marécageuses, par le biais d’un îlot constitué de roseaux flottants rempli de terre et de graines, hydraté toute l’année, qui offrait jusqu’à six récoltes par an; Inscrite au patrimoine mondial de l’Humanité par l’UNESCO, et bien que menacée par des plans d'urbanisation, sauvage, on la retrouve encore aujourd'hui notamment dans la culture des fleurs et de légumes bio destinés entre autres aux grands restaurants.
- la nixtamalisation : la technique a évolué et on utilise de nos jours le plus souvent de l'eau de chaux pour ramollir les grains de maïs
- le metate : cette meule meulière dormante en pierre qui permettait de moudre les grains de maïs jusqu'à l'obtention par mouture à l’eau d’une pâte appelée “masa”, est encore largement utilisée de nos jours. - le molcajete : ce mortier de forme concave à trois pieds en pierre volcanique sculptée sert toujours pour mieux broyer céréales, épices et légumes tout en récupérant tout le goût des ingrédients selon une texture maîtrisée
- le comal (de l’Aztèque “comalli”) plaque ronde en terre cuite (désormais également en métal ou en fer forgé) destinée à chauffer ou cuire au feu de bois, les tortillas ou tout autre plat dérivé du maïs est encore utilisée de nos jours,
- les fours enterrés : pratiqués encore par les paysans indigènes et métis, ils servent à faire rôtir des agneaux entiers généralement les dimanches et jours fériés.
Sur la majeure partie du territoire, surtout en milieu rural, une grande part de la nourriture est consommée en famille, et élaborée selon des pratiques très anciennes ou l'entraide et le contact humain priment sur le bien-être individuel, car la cuisine familiale fait la part belle à la gastronomie populaire.
Ainsi, en famille au quotidien, dans la rue ou lors de fêtes religieuses ou de festivals, certains plats, comme le mole poblano ou le tamal mets compliqués à préparer, réservés aux grands évènements de la vie, tels que baptêmes, mariages, enterrements, continuent à créer des liens sociaux au sein des familles. De la même façon, semailles, récolte du maïs et cycles agricoles toujours encadrés par des festivités culturelles et religieuses encourageant le travail de la communauté et de la famille, conservent leur pouvoir identitaire pour les petits producteurs de maïs qui sont encore aujourd'hui une force vive du pays.
La cuisine professionnelle elle-même, en pleine croissance, continue à mettre l’accent sur les méthodes et ingrédients traditionnels renvoyant la cuisine tex-mex aux fast foods présents désormais dans le monde entier… La cuisine traditionnelle reste ainsi un vecteur essentiel et reconnu d‘identité, un précieux et puissant facteur de cohésion sociale qu’il convient de sauvegarder et même de promouvoir.
La fusion des rituels religieux :
Le catholicisme espagnol qui représente aujourd’hui 89% de la population, et les cultes indigènes et croyances locales ancestrales s’étant au cours des siècles, entremêlés, il deviendra au fil du temps, difficile de distinguer dieux païens et dieu chrétien, fêtes catholiques et fêtes indigènes, même dans les pratiques culinaires. On retrouve ainsi de très nombreuses fêtes populaires traditionnelles liées à des coutumes aux origines indiennes ou aux évènements familiaux tels que anniversaires, mariages ou fiançailles, accompagnées par des groupes de mariachis, formations musicales emblématiques de l'identité mexicaine (classés également par l’UNESCO au Patrimoine immatériel de l'Humanité), mais aussi aux grandes dates du calendrier catholique comme celles de l’Epiphanie du 6 janvier (“Dia del Rey”), de Pâques et de la semaine sainte qui s'inspirent des pieux chemins de croix espagnols ou de la Toussaint. Appelé désormais “El Dia de los Muertos”, classé lui aussi au patrimoine culturel immatériel de l'humanité de l’UNESCO, il est une étrange et mystique alliance entre la religion catholique et des croyances ancestrales indiennes liées à une pratique millénaire : les 1er et 2 novembre, lors de cette très populaire et joyeuse célébration des défunts et de la déesse de la Mort, on y voit la population en costumes folkloriques défiler en musique et partager en famille des repas pour lesquels on aura confectionné des crânes en sucre (référence aux crânes des prisonniers sacrifiés autrefois conservés comme trophées) du copal et des pains de morts et où l’on sert les plats préférés du défunt (tamales, moles, haricots noirs, chocolat chaud, café épicé, des fruits et une petite bouteille de mezcal ou de tequila). De la même façon, le culte que vouent tous les Mexicains, quelles que soient leur classe sociale ou leur appartenance ethnique, à la vierge métisse de Guadalupe, divinité azrèque de la fécondité et de la fertilité, devenue l’étendard des indiens et des métis contre les Espagnols, donne désormais lieu le 12 décembre au plus grand pèlerinage du pays qui voit manifestations folkloriques et religieuses culminer sur le parvis de Notre Dame de Guadalupe à Mexico, là encore symbole de l'unification de l'identité nationale, culturelle et religieuse de tout un pays.
la création d’une nation :
La racialisation hiérarchisée de la colonisation amènera les créoles à revendiquer leur identité américaine et conduira le pays à l’indépendance en août 1821, après une meurtrière guerre contre le Royaume d'Espagne débutée en 1810.
Constitué en république fédérale en 1824, le pays connaîtra par la suite une période de très grande instabilité politique, la distribution du pouvoir se faisant en fonction de la stratification ethnique et sociale. L’État métis naîtra lui avec la révolution de 1910 et l’amorce du passage d'un métissage culturel, qui transmettait par voie orale histoires, légendes et souvenirs familiaux, à un métissage idéologique officiel encadré par l'État mexicain.
Afin de définir son identité collective, le peuple mexicain aura recours à différents symboles qui l’unissent au-delà de ses différences voire même de ses divergences. Ainsi, l’élaboration du drapeau national lors de la déclaration d'indépendance en 1821 (avec autour de l’aigle, le figuier de Barbarie et le serpent issus d’une croyance aztèque) et les couleurs de la liberté qui symbolisent depuis lors le pays, le vert (espoir du peuple), le blanc (unité du pays) et le rouge (sang des héros contre les invasions) a-t-elle été le symbole de l’unité trouvée. De la même façon, les symboles patriotiques comme le cri d’indépendance du 16 septembre, l’hymne national ainsi que les diverses fêtes civiles telles que la fête de la Constitution du 2 février, de la victoire contre les Français du 5 mai ou de la Révolution du 5 novembre participent-ils à renforcer un sentiment d’identité nationale.
c) Dans le domaine démographique : le poids du métissage
Dans un pays où le pouvoir se sera imposé non par son impact économique, mais par son poids démographique, la question de l'intégration des autres races à la race hispanique et blanche sera longtemps restée au centre de toutes les politiques nationales : Oscillant entre la Blanche, l'Indienne et la Métisse, le pays aura cherché son identité et son unité entre métissage et pluralisme, entre assimilation et intégration. Lors des années 1960, les peuples indigènes revendiqueront leur identité (politique, culturelle, linguistique…), et interviendront de plus en plus souvent pour défendre l'environnement des petits territoires qui leur avaient été laissés au terme de la conquête, devenant même peu à peu le symbole privilégié de regroupements écologiques. À partir de la décennie 1980-1990, les conceptions politiques nationales du XIXè et XXè siècle, fondées sur l’unité à la fois culturelle et raciale, héritées de la colonisation seront remplacées par celles du multiculturalisme, et la reconnaissance des droits des minorités indigènes et afro encore trop souvent bafoués. Il sera dorénavant question de mettre en dialogue les richesses culturelles et de promouvoir la diversité culturelle. Le peuple mexicain se sera ainsi forgé, au fil des millénaires qui constituent sa longue existence, un caractère à toute épreuve, désormais fort et uni, fruit d‘une histoire tumultueuse alliée au métissage des cultures.
III La sauvegarde et la promotion d’un patrimoine identitaire :
Avec aujourd’hui une population mexicaine de près de 134 millions d’habitants, dont 60 % sont métissés, 20 % d’origine amérindienne et plus de 15 % indigènes, répartis dans une soixantaine de groupes qui parlent encore plus de 80 dialectes différents, il est essentiel de préserver une unité et une identité chèrement acquises. La cuisine traditionnelle elle-même, basée sur un socle culturel empreint de savoir-faire agricoles et communautaires ancestraux, était en danger, face aux dangers du changement climatique mais aussi de la mondialisation et des importations de variétés hybrides menaçant les fruits et légumes utilisés traditionnellement.
Des initiatives seront menées en faveur de la richesse gastronomique du pays et des rencontres au sommet organisées : scientifiques, universitaires, spécialistes en matière d’alimentation et de gastronomie, collectifs de cuisinières et même des chefs et des organisations non gouvernementales se rencontreront , échangeront sur leurs expériences respectives, pour sauvegarder leur cuisine. Ces actions, initiées depuis le début des années 2000 représenteront un exemple emblématique d’une volonté affirmée de préservation d’un patrimoine culturel symbole d’unité et de lieux de mémoire communs. L'expérience pratiquée dans l'État de Michoacan, tant dans son rôle identitaire historique que dans celui plus affirmé directement lié au développement durable, permettra quant à elle, à toutes les communautés du pays qui étaient confrontées aux mêmes menaces ou difficultés de s’en inspirer afin de poursuivre leur action en lien avec les autres secteurs socio-économiques.
Car aujourd’hui grâce à la prise de conscience de l’importance de sauvegarder voire de développer cette gastronomie, renforcée par son classement en 2010 par l'Unesco au patrimoine culturel immatériel de l’Humanité, les communautés s’intéressent de plus en plus à la valorisation de leur patrimoine gastronomique par le biais touristique notamment. En 2011, l’ONU suggérera par ailleurs au pays de modifier ses politiques agricoles pour faire face au double défi de l’obésité et de la pauvreté alimentaire qui touchait de plus en plus le pays. Le gouvernement mexicain, garant de la santé publique du pays, légifèrera alors dans les années 2020 pour lutter contre le problème d’une cuisine qui serait devenue trop “grasse”, une consommation de boissons sucrées (sodas particulièrement) trop élevée entraînant la population, surtout la plus pauvre (car obésité et pauvreté vont souvent de pair!) dans le fléau devenu sociétal de l’obésité (en 2019, 73 % des Mexicains étaient en surpoids, le taux d'obésité infantile était le plus élevé du monde) et du diabète. Des programmes contre la malnutrition seront engagés, des taxations sur les boissons sucrées mises en place…
Cette réalité sanitaire dont il fallait désormais tenir compte, n'altèrera cependant en rien le lien très fort qui existait déjà entre le patrimoine gastronomique, l'identité culturelle des territoires et les populations. Il s'en trouvera même renforcé par la volonté exprimée par tous de promouvoir une richesse culturelle de qualité qui, respectueuse de ses origines, aura su, en évitant les écueils de la modernité, s’inscrire parfaitement dans l'écriture de cette nouvelle page de l'histoire du Mexique.
La politique désormais engagée par l'État mexicain pour la défense d’un développement durable qui lutte contre les dégradations environnementales et pour la transition énergétique tout en sauvegardant sa cuisine traditionnelle se devra d’être quant à elle économiquement viable et socialement équitable.
Laissez un commentaire