LE CAFÉ TURC : UN ART DE VIVRE A PART ENTIERE !
Élément constitutif du patrimoine culturel de la Turquie, le café est aujourd'hui la boisson la plus consommée au monde et la torréfaction la première méthode de préparation du café universellement connue.
L'histoire du café au fil des siècles au fil des siècles :
Ses origines africaines: entre légendes et vérités historiques !
Au tout début était le pied de caféier !! les premiers pieds de caféiers (coffea arabica) poussant à l’état sauvage auraient été découverts, d'après une légende tirée d’un conte des Mille et une nuits, il y a plusieurs millénaires, sur les hauteurs de Kaffa, en Abyssinie (Ethiopie), puis transportés jusqu’au Yémen après qu’un jeune berger yéménite en ait constaté leurs propriétés tonifiantes sur ses troupeaux.
C’est là que serait également née la toute première méthode de préparation du café connue de l’histoire : la torréfaction des baies.
Son expansion vers l’Empire ottoman :
Au XVème siècle, les pèlerins musulmans, qui apprécieront de ne plus s’assoupir lors des prières nocturnes, feront, lors de leur pèlerinage à la Mecque, connaître la boisson, qu’ils nommeront K’hawah, dans toute l’Arabie.
Au XVIème siècle, le café se répandra rapidement dans un Empire ottoman multinational et multilingue qui connaîtra dès sa fondation en 1299 des périodes riches tant d’un point de vue économique, stratégique, géopolitique que culturel : il sera ainsi pendant six siècles, de par sa position dominante au Moyen-Orient et dans le Bassin méditerranéen, au centre des interactions entre l’Orient et l’Occident.
Durant ses 46 ans de règne et de conquêtes, le Sultan Soliman le Magnifique (1520-1566), fera connaître ce nouveau breuvage dans les territoires des Balkans, d'Europe centrale, d'Afrique du nord et d’Espagne.
Le sultan aurait, comme l’ensemble de sa cour, fort apprécié cette nouvelle boisson…! La légende raconte même que, pour contrebalancer l’amertume du breuvage, son épouse l’aurait consommé avec un verre d’eau et un carré de ce qui deviendra le “loukoum”!
Le café sera d’abord adopté par la noblesse car le café est cher et il mérite les égards dûs à son rang! en se réappropriant cet étrange breuvage noir, les classes dirigeantes développeront leur propre rituel de préparation - mouture beaucoup plus fine à l’aide d’un pilon, café en décoction qui mousse et utilisation d’ustensilles bientôt incontournables tels l’Ibrik (ou cezve) fabriqué traditionnellement en cuivre.
Le café deviendra par la suite une boisson à la mode, accessible à tous, qui se répandra bientôt comme une traînée de poudre dans tout l’Empire.
Du café aux cafés : un parcours semé d'embûches :
Les “maisons du café” (kahvehane), véritables lieux de rassemblement et de convivialité, qui seront dédiés au café se multiplieront rapidement. La première maison du café ouvrira à Istanbul en 1554 (elles seront plus de 500 à la fin du XVI ème siècle) créant ainsi un véritable ciment social qui véhiculera la culture orale de l’Empire ottoman.
En devenant, au fil des années, des lieux de socialisation, d’échanges, d’éducation, de divertissement, mais aussi d’information, les cafés représenteront très vite une menace pour les autorités politiques. La souveraineté et la sécurité de l'Etat seraient en jeu, des idées d'autodétermination, de rébellion contre l'Empire, commenceraient à y circuler, on y fomenterait des complots, des marchands y répandraient des rumeurs de guerre, ... le café deviendra alors illégal, sa consommation sera interdite et tout manquement sévèrement sanctionnée ! des têtes pourront même être coupées…!
Considérée par ailleurs par les autorités religieuses, comme “enivrante” et de ce fait contraire aux lois du Coran, sa consommation sera également interdite à la Mecque, les réserves seront brûlées…! Tout juste lui reconnaissait-on quelques propriétés médicinales, et encore à petites doses…!
Cependant, face à la colère du peuple pour qui cette pratique était déjà largement ancrée dans les mœurs, et les mouvements de rébellion s’intensifiant, ces interdictions seront rapidement retirées et la tradition s'installera durablement dans tout le territoire.
Son arrivée en Europe et dans le monde :
Au début du XVII ème siècle, les marchands turcs commenceront à exporter le café vers l’Europe, d’où il se propagera vers le reste du continent : d'abord à Venise, alors place de marché centrale de l'Europe, puis en Angleterre, en France - auprès de la cour de Louis XIV - en Hollande, au Portugal, en Allemagne, … et rapidement dans leurs immenses empires coloniaux respectifs, en Afrique, en Asie, en Océanie en Amérique, … couvrant ainsi progressivement une très grande partie de la planète.
Point de rencontre culturel à travers le monde :
Seule boisson au monde à avoir donné naissance à une culture commune, la consommation du café impactera ainsi considérablement l'art et la culture partout dans le monde, bien au-delà d'Istanbul : nombre d’étudiants, d’enseignants, d’intellectuels, d’artistes se rassembleront dans les cafés pour lire, jouer des pièces, discuter, peindre, composer, …
Le café deviendra une boisson de référence, une source d'expression, d'inspiration, un mode de vie même : en littérature, pour beaucoup d'auteurs tels Dumas, Gide, Molière, Hugo, Balzac,...en peinture, pour des peintres tels Franz Schams, ou Ali Riza Bey en Turquie, en musique pour des musiciens tels Vivaldi, Goldoni, Bach dans sa Cantate du Café, Beethoven,…
Ainsi, au fil des conquêtes et des explorations, dans les poches des aventuriers ou dans les soutes des navires marchands, le café connaîtra le long processus de la mondialisation pour devenir une richesse économique majeure et la première denrée agricole commercialisée dans le monde.
SON RÔLE AU COEUR DES PEUPLES !
Le café turc : symbole de l’hospitalité orientale
L'appellation de café turc ou café à la turque, bien que nommant le pays, évoque à la fois une recette partagée par tout le Moyen-Orient, mais aussi une manière de le consommer.
Partie intégrante de la culture sociale de nombreux pays, et cela même si chacun d’eux, turc, serbe, croate, syrien, israélien, grec, … a apporté, dans le respect de sa propre identité culturelle, sa touche personnelle et quelques subtilités à sa préparation, par exemple, par l’ajout d’épices comme des graines de pistache en Turquie, des grains de cardamome en Arabie, une goutte d’eau de fleur d’oranger en Algérie et en Tunisie, de la cannelle au Maroc …, le café turc symbolise partout l'hospitalité orientale et la célébration de l’amitié…
Un dicton très célèbre dit même qu’ ”une tasse de café partagée c'est une amitié qui vous engage pendant 40 ans
Le café turc : un rituel social incontournable en Turquie
Dans la république laïque de Turquie, créée en 1923 à la suite de la dissolution de l’Empire ottoman, le café est une tradition communautaire, un symbole qui touche tous les horizons, presque une obligation.
Tout est une occasion pour boire du café, toujours extrêmement fort, pas une visite familiale ou entre hommes d'affaires ne se fait sans que l’on vous propose un café! tout contrat commercial sera scellé avec un café! Certains turcs boivent cinq, dix cafés par jour voire plus. En terrasse, il s’invite à toutes sortes de discussions, en famille il est l’un des symboles de l’hospitalité turque: un étranger est un invité , le même mot étant d’ailleurs utilisé dans les deux cas!
Mis à l’honneur et célébré particulièrement par une journée qui lui est désormais dédiée, il a son propre musée, des expositions et des compétitions pour récompenser les meilleurs préparateurs sont organisées.
Dans la très grande majorité des restaurants et cafés, le café turc figure sur le menu, parfois même au dépend du fameux expresso.
Ancré dans le mode de vie des turcs, omniprésent dans la vie quotidienne, il n’est plus une simple boisson mais une de leurs traditions les plus précieuses… !
Lors de fêtes familiales, certaines coutumes liées au café sont encore incontournables aujourd’hui dans bon nombre de familles, conservatrices ou modernes, rurales ou urbaines : ainsi, lorsque deux personnes projettent de se marier, la tradition veut que la famille du futur époux se rende dans la famille de la promise pour demander sa main. Lors de cette rencontre bien orchestrée, appelée “kiz isterne” la fiancée doit préparer pour toute l’assemblée un café dans les règles de l’art, mousseux, parfaitement sucré, ni trop ni trop peu, et versé dans une tasse en porcelaine. “Meilleur est le café, meilleure sera l'épouse”. Mais pour respecter une tradition turque fondamentale, elle préparera pour son amoureux, afin de tester sa volonté et son abnégation, un café qu’elle pourra saler, voire poivrer… et … attendre sa réaction, un café recraché pouvant aller jusqu’à compromettre les noces!
En Turquie, des petites nuances existent dans la préparation selon les régions mais le standard du café turc doit toujours être respecté : une composition de 100 % d’arabica, une torréfaction plutôt claire, une mouture beaucoup plus fine que pour les autres cafés grâce à des moulins à café très performants, et enfin une façon de préparer très particulière en utilisant un cezve, récipient spécifique fabriqué généralement en cuivre.
Traditions à respecter lors de la préparation, traditions à respecter lors de la consommation toute proche de la dégustation. Le secret du café turc reste la patience : on doit le boire en prenant son temps, on est ouvert à la discussion, on y retrouve des amis ou de la famille pour passer un moment agréable, échanger …, la tradition est ainsi respectée et le lien social créé.
Mais, attention, le geste a lui-même son importance ! la tasse - traditionnellement de petite taille de 60-75 ml, sans poignée et richement décorée - doit être délicatement penchée, pour éviter d'avaler le précieux marc qui permettra, selon le rituel de la cafédomancie, encore pratiqué par de nombreuses familles, de connaître ce que l’avenir vous réserve.
C’est ainsi que depuis des siècles, tout en plaçant l'hospitalité au centre des relations sociales et en préservant un goût et une saveur uniques au monde, la tradition du café turc et l'ensemble des connaissances et des compétences qui lui sont liées, sont toujours transmises de génération en génération, par l'observation et la participation, procurant un sentiment d’identité qui continue à renforcer la cohésion sociale du pays.
LE CAFE TURC : POUR DES SIÈCLES ENCORE !
Reconnu par l’UNESCO, en 2013, par son inscription au patrimoine culturel immatériel de l'Humanité, comme un exemple d'institution favorisant un dialogue social à promouvoir dans le monde entier, le café turc a su acquérir, grâce à sa saveur exceptionnelle et les valeurs humaines qu'il véhicule, une renommée mondiale et devenir par là même un domaine commercial rentable.
Et si les techniques de production américaines ou européennes du café semblent aujourd’hui conquérir les tables des amateurs turcs de café, elles ne peuvent pas conquérir leurs cœurs!
Car le peuple turc, fier de son riche patrimoine culturel, attaché à la grandeur de ses origines et fidèle à une coutume unique au monde qui, tout en enfreignant certaines règles conseillées par des “experts” insensibles à l’unicité du produit, perdure depuis des siècles, est prêt à la défendre contre tout : l’omnipotence de la technologie moderne et la multiplication des machines à café automatiques et des capsules, la “modernisation” des ustensiles traditionnels, le succès rencontré par le café instantané,..., voire même une certaine “lassitude” ressentie peut-être dans certains milieux face à la complexité de sa préparation, les pandémies, le bouleversement climatique et ses conséquences sur les récoltes, …!
Car rien n’égalera jamais la dégustation d'un café turc fabriqué dans des pots en cuivre sur un feu de bois ou sur du sable chaud !
Après un aussi “savoureux” exposé que diriez-vous d’un petit k’hawah !!
Recette du café turc :
Les ustensiles :
- la cafetière ou “cevze”
- le moulin à café
- les tasses décorées en porcelaine ou “fincans”
Les ingrédients :
- mouture de café arabica extra fine fraîchement torréfiée
- eau minérale
- sucre ou épices à votre goût
La préparation :
- remplir d’eau le cezve avec la valeur d’une tasse par personne
- mettre le cezve sur le feu (en évitant les plaques électriques ou à induction qui rendent la maîtrise de la chaleur plus difficile) jusqu'au frémissement
Attention le café ne doit pas bouillir afin de préserver l’arôme et le goût!
- lorsque l’eau est sur le point de bouillir, retirer le cezve du feu et verser le café (7 g par tasse) moulu très fin, le sucre et si vous le souhaitez, une cuillerée par personne de vos épices préférées (cannelle, cardamome, vanille ou de tout autre épice)
- remuer soigneusement avec une cuillère en bois le mélange afin d’obtenir une boisson aux arômes riches (la préparation va pouvoir chauffer doucement et le café commencer à créer de la mousse sur les bords)
Le signe d’un café réussi : la mousse doit être ferme et épaisse
- servir le café tel quel après l’avoir laissé reposer 30 secondes
- ou le remettre sur le feu au moins deux autres fois afin d’obtenir un café encore plus corsé et une mousse plus abondante (mais attention cette étape peut être difficile à maîtriser!)
- laisser reposer cette infusion pendant quelques minutes afin que la poudre de café se dépose au fond ou alors rajouter quelques gouttes d’eau froide pour faire déposer le marc et servir aussitôt le café brûlant
Vous pouvez maintenant déguster votre café turc (avec un petit loukoum pour adoucir son amertume et un verre d’eau), lentement, en aspirant le breuvage afin de ne pas en avaler la mouture avec le café !
Il ne vous restera plus alors qu’à lire votre avenir dans les motifs laissés au fond de la tasse !
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